Publié par Jean A. D.

En ce temps-là, j'étais en mon adolescence
J'avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance
J'étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance
J'étais à Moscou dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares
Et je n'avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours
Car mon adolescence était si ardente et si folle
Que mon cœur tour à tour brûlait comme le temple d'Ephèse ou comme la Place Rouge de Moscou quand le soleil se couche.
Et mes yeux éclairaient des voies anciennes.
Et j'étais déjà si mauvais poète
Que je ne savais pas aller jusqu'au bout.

Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare croustillé d'or,
Avec les grandes amandes des cathédrales, toutes blanches
Et l'or mielleux des cloches...
Un vieux moine me lisait la légende de Novgorod
J'avais soif
Et je déchiffrais des caractères cunéiformes
Puis, tout à coup, les pigeons du Saint-Esprit s'envolaient sur la place
Et mes mains s'envolaient aussi avec des bruissements d'albatros
Et ceci, c'était les dernières réminiscences
Du dernier jour
Du tout dernier voyage
Et de la mer.

Blaise Cendrars, La Prose du Transsibérien (1913)

 

Le voyageur sur la place de la Gare de Brest,

à l’envergure rappelant la place Rouge du Kremlin © Jean A. D.

 

Prose de l'Ouest à l'Est breton

 

En ce temps-là j’étais en mon adolescence

Je n’avais pas encore seize ans et je ne me souvenais plus de mon enfance

J’étais à Brest, dans la ville des milles et trois plages

La gare était pour moi une horloge géante

Cette horloge qui me pressait

Alors que je rentrais dans le TGV

Son soufflement était comme un ronflement de géant

Un sifflement était signe de partance

Derrière la vitre, la rade, la jolie rade était en colère

Transformée en mer trouble et grise

Et tout à coup le train était plein de verdure

 

Le tou tou dou lou était comme une chanson

Qui m’amenait progressivement dans mes rêves

 

Le premier arrêt fut à Morlaix dans la vieille ville du Viaduc

J’étais en train de réviser mon français en lisant La Prose du Transsibérien

 

Le prochain arrêt serait à Rennes

Cette ville Vilaine

Où je ne resterais pas

Parti vers des destinations au-delà des horizons

 

Tag(s) : #blaise cendrars, #1G2
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