Publié par Sacha A.-J.
La pluie, dans la cour où je la regarde tomber, descend à des allures très diverses. Au centre c'est un fin rideau (ou réseau) discontinu, une chute implacable mais relativement lente de gouttes probablement assez légères, une précipitation sempiternelle sans vigueur, une fraction intense du météore pur. À peu de distance des murs de droite et de gauche tombent avec plus de bruit des gouttes plus lourdes, individuées. Ici elles semblent de la grosseur d'un grain de blé, là d'un pois, ailleurs presque d'une bille. Sur des tringles, sur les accoudoirs de la fenêtre, la pluie court horizontalement tandis que sur la face inférieure des mêmes obstacles elle se suspend en berlingots convexes. Selon la surface entière d'un petit toit de zinc que le regard surplombe, elle ruisselle en nappe très mince, moirée à cause de courants très variés par les imperceptibles ondulations et bosses de la couverture. De la gouttière attenante où elle coule, avec la contention d'un ruisseau creux sans grande pente, elle choit tout à coup en un filet parfaitement vertical, assez grossièrement tressé, jusqu'au sol où elle se brise et rejaillit en aiguillettes brillantes.
Chacune de ces formes a une allure particulière : il y répond un bruit particulier. Le tout vit avec intensité comme un mécanisme compliqué, aussi précis que hasardeux, comme une horlogerie dont le ressort est la pesanteur d'une masse donnée de vapeur en précipitation.
La sonnerie au sol des filets verticaux, le glou-glou des gouttières, les minuscules coups de gong se multiplient et résonnent à la fois en un concert sans monotonie, non sans délicatesse.
Lorsque le ressort s'est détendu, certains rouages quelque temps continuent à fonctionner, de plus en plus ralentis, puis toute la machinerie s'arrête. Alors si le soleil reparaît tout s'efface bientôt, le brillant appareil s'évapore : il a plu.
Francis Ponge, « Pluie », Le Parti pris des choses (1942)
Quelques objets du quotidien © Sacha A.-J.
Les alliés silencieux du jour
Au matin, le café révèle son mystère, liquide ambré dans la tasse, tout un monde éphémère. Les grains véhiculent l’arôme, réveillant la lumière, le quotidien devient une fresque.
Les clés sont gardiennes du passage. En métal forgé, reflet d'une routine sage, elles ouvrent des portes vers les milieux. Chaque cliquetis est une symphonie infinie.
Le stylo griffonne, danse sur la page blanche, et les mots s'éveillent, formant d’étranges nuances. L'encre dévoile des rêves en avalanche. L'écriture silencieuse délivre des voyages en abondance.
Sous la pluie fine, le parapluie déployé est un toit éphémère, gardien des jours noyés.
Ainsi va la vie, dans l'ordinaire lumineux où chaque détail devient un joyau précieux.